mardi 26 juin 2012

Kafka sur le rivage - Haruki Murakami

Présentation de l'éditeur :

Un adolescent, Kafka Tamura, quitte la maison familiale de Tokyo pour échapper à une malédiction œdipienne proférée par son père. De l'autre côté de l'archipel, Nakata, un vieil homme amnésique, décide lui aussi de prendre la route. Leurs deux destinées s'entremêlent pour devenir le miroir l'une de l'autre, tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d'un murmure envoûtant.


Mon avis :


Un adolescent qui fugue pour fuir une prédiction, un ami imaginaire nommé corbeau, un vieil homme qui parle avec les chats, un chauffeur de poids lourds généreux, un bibliothécaire androgyne, une directrice de bibliothèque au lourd passé,  d'étranges créatures venues d'on ne sait où, ajouter une grosse pincée  du mythe d'Œdipe et vous obtenez ce magnifique "Kafka sur le rivage" de Murakami.
J'ai adoré d'un bout à l'autre. On est bien dans le même genre d'univers que 1Q84, une grosse partie de réalité bien terre à terre et puis soudain on bascule dans un fantastique extrêmement poétique parfaitement intégré à l'histoire. Même les personnages parlent de métaphores pour ce qu'ils vivent.
Certains ont parlé de "conte philosophique", oui, on peut parfaitement le voir comme cela, les problématiques évoquées sont universelles : le désir, l'amour, la mort, la vieillesse … Mais dois-je en dire plus ?
Non, le mieux à faire est de le lire, de rentrer dans ce merveilleux univers poétique et peut être y trouverez vous aussi de belles leçons de vie.

Au fil de la lecture : 
 
 Je regarde sa poitrine. À chacune de ses respirations, cette partie ronde de son anatomie se soulève et s’abaisse comme une vague. Ça me fait penser à un vaste océan doucement frappé par la pluie. Moi, je suis un marin solitaire debout sur le pont. Elle, elle est la mer. Le ciel est tout gris et à l’horizon, devant nous, il se confond avec la mer, grise elle aussi. Il devient très difficile de les distinguer l’un de l’autre. Difficile aussi de distinguer le marin. Et difficile de distinguer ses fantasmes de la réalité.

Chaque fois que je saisis un volume et l’ouvre, il s’échappe d’entre les pages un parfum du temps passé. Les connaissances profondes, les émotions intenses qui reposent derrière ces couvertures ont une odeur particulière.

Nakata ignorait pourquoi mais la communication passait plus ou moins bien selon les races de chats. Il était particulièrement difficile d’être sur la même longueur d’onde que les chats brun tigré. Avec les chats noirs, cela se passait plutôt bien. C’était avec les siamois qu’il avait les conversations les plus fluides mais, malheureusement, l’occasion ne se présentait pas souvent car on rencontrait peu de siamois errants dans les rues.

Les œuvres qui possèdent une sorte d’imperfection sont celles qui parlent le plus à nos cœurs, précisément parce qu’elles sont imparfaites.

Un sens de l’imperfection, s’il est artistique, intense, stimule ta conscience, maintient ton esprit en alerte. Si j’écoute l’interprétation parfaite d’un morceau parfait en conduisant, je risque de fermer les yeux et d’avoir envie de mourir dans l’instant. Mais quand j’écoute attentivement cette sonate, je peux entendre les limites de ce que les humains sont capables de créer, je sens qu’un certain type de perfection peut être atteint avec humilité, à travers une accumulation d’imperfections. Et personnellement, je trouve ça plutôt encourageant.

Quelque chose dans cette forêt évoquait une obscure magie préhistorique. Les arbres règnent sur ces bois, tout comme les créatures vivant au fond des océans règnent sur les abysses. La forêt peut me rejeter ou m’avaler, selon ses besoins. Il vaut mieux garder une crainte révérencieuse envers ces arbres.

Tel que tu me vois, j’ai été victime de discriminations diverses dans ma vie, poursuit-il. Seuls ceux qui en ont subi eux-mêmes savent à quel point cela peut blesser. Chacun souffre à sa façon et ses cicatrices lui sont personnelles. Je pense que j’ai soif d’égalité et de justice autant que n’importe qui. Mais je déteste par-dessus tout les gens qui manquent d’imagination. Ceux que T. S. Eliot appelait « les hommes vides ». Ils bouchent leur vide avec des brins de paille qu’ils ne sentent pas, et ne se rendent pas compte de ce qu’ils font. Et avec leurs mots creux, ils essaient d’imposer leur propre insensibilité aux autres. Comme nos deux visiteuses de tout à l’heure.

Sans doute que personne ne croira à une hypothèse aussi ridicule. Mais si aucune antithèse ne vient réfuter une hypothèse, aucun progrès scientifique n’est possible. C’est ce que mon père disait toujours. Une antithèse, c’est un champ de bataille dans le cerveau, voilà ce qu’il disait. Il répétait cette phrase comme une litanie. Et pour l’instant, je ne vois pas la moindre antithèse à opposer à cette supposition.

Une révélation, ça dépasse les bornes du quotidien. Que serait la vie, sans les révélations divines, je te demande un peu ? C’est important de franchir le pas, de passer de la raison qui observe à la raison qui agit. Tu comprends ce que je te dis ou non, bougre d’âne ? Non mais, qui m’a fichu un imbécile pareil ! — Vous voulez parler de l’échange et de la projection du soi sur l’objet ? fit timidement Hoshino. — Exactement. Content que tu comprennes au moins ça. Tout est là.

Le jeune routier enleva le tissu, de façon à ce que la pierre soit bien visible. Puis il enfila un peignoir, et se mit au lit. Il sombra instantanément dans le sommeil. Dieu lui apparut un court instant en rêve : il était en short, ses mollets poilus à l’air, et traversait un terrain de sport en courant, un sifflet entre les lèvres.

Comme dans une scène mythologique, la musique décrit le passé obscur d’un homme sans nom et sans visage – un passé dont tous les détails sont tirés des ténèbres comme des entrailles se déroulant à l’infini.

j’interprète cette musique. Le son patiemment répétitif démolit peu à peu le réel, puis le recompose. Il y a dans cette mélodie un subtil parfum hypnotique de danger, exactement comme dans cette forêt.

Elle n’aurait jamais dû t’abandonner, et tu n’aurais jamais dû être abandonné par elle. Mais le passé, c’est comme une assiette brisée : on aura beau tenter d’en recoller les morceaux, on ne pourra jamais lui rendre son aspect d’antan.

Dans notre esprit, il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j’imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaître précisément ce qu’il y a dans nos cœurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l’aérer, changer l’eau des fleurs. En d’autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque.

Le temps pèse sur toi comme un vieux rêve au sens multiple. Tu continues à avancer pour traverser ce temps. Mais tu auras beau aller jusqu’au bord du monde, tu ne lui échapperas pas. Pourtant, même ainsi, il te faudra aller jusqu’au bord du monde. Parce qu’il est parfois impossible de faire autrement.

dimanche 17 juin 2012

La vie d'une autre - Frédérique Deghelt

Description de l'éditeur :
  
Marie a vingt-cinq ans. Un soir de fête, coup de foudre pour le beau Pablo, nuit d’amour et le lendemain... Elle se réveille à ses côtés, douze ans plus tard, mariée, mère de trois enfants, sans un seul souvenir de ces années écoulées. Comment faire pour donner le change à son entourage ? Et comment retrouver sa propre vie ? C’est avec une énergie virevoltante et un optimisme rafraîchissant que Frédérique Deghelt a écrit ce roman sur l’amour et le temps qui passe, sur les rêves des jeunes filles confrontés au quotidien et à la force des choix qui déterminent l’existence.

Mon avis :


Un roman sur la recherche de la mémoire.
Marie se réveille un matin avec douze années de sa vie disparues de sa mémoire. Elle se met à la recherche d'elle-même. Qu'a-t-elle vécu pendant toutes ces années ?  Une recherche qui très vite va amener des questions sur l'amour et la vie de couple, comment  évoluent ils ensemble ?  quel terrible secret peut être caché par cette amnésie. Et ce possible drame, comment a-t-il pu survenir ?
Bien sur, cette idée de l'amnésie aussi soudaine que sélective peut sembler assez peu plausible, mais c'est justement la situation qui va permettre à l'auteur de mener la réflexion aussi loin qu'elle le fait à travers le personnage de Marie, l'amnésie de celle-ci est un moyen de décrypter comment peut évoluer un couple , l'usure est elle évitable, à quel prix, et l'Amour, qu'est ce que c'est ?  peut il durer  ?
Une véritable enquête à la recherche de l'autre, celle que Marie était avant cette perte et qui amène le lecteur à s'interroger sur un sujet  tellement important pour chacun d'entre nous.
Un très beau roman, un bon suspense, une chute inattendue,  et finalement une belle histoire d'Amour qui finit bien, et ça, j'apprécie !

Quelques citations :


J’ai fait avec elle une petite révision par téléphone de tout ce qui peut se produire médicalement dans la vie quotidienne d’une mère. La liste en est tout à fait affolante. Avoir trois enfants d’âges différents en une seule fois est ce qui pouvait m’arriver de pire pour réussir un apprentissage rapide de mon nouveau rôle.

Jouer, c’est remonter le courant de la peur, aller à la recherche de la partie de soi qu’on ne connaît pas. J’ai vraiment du mal à imaginer que ce n’est pas un message personnel

Ça me paraît tellement invraisemblable que je finis par me demander si je n’ai pas tout simplement joué. Car je m’emporte, je m’obstine à vouloir trouver une explication à cette scène de jalousie. Mais avant, à quel moment de ma vie suis-je devenue jalouse ? Est-ce une vue de mon esprit qui cherche absolument des raisons, une folie peut-être, une de plus, de me dire que la scène est vraie ?

J'avertissais mes amants : J’ai besoin de liberté. Je ne comble jamais les vides, j’accumule le bonheur. L’autre n’a rien que vous n’avez pas. Il est juste autre, et en cela, il est irremplaçable. En face, c’était l’incrédulité !

Je ressens… L’odeur des pins, les senteurs du Sud, et le goût même. Je peux le sentir au bout de la langue, cette maison a un goût. J’y perçois de la nostalgie, des ondes de bonheur, du bien-être. Je ressens ici quelque chose d’immense et de très étrange, comme un morceau d’enfance.

Mais qu’est-ce que je cherche ? Rien de difficile ou de spécial : passer la soirée à écouter de la musique, à partager vraiment le phrasé d’un violon, l’envolée d’une harpe, ou vibrer au son d’une contrebasse. Et puis le reste : la simplicité d’une lecture, une phrase dite les yeux dans les yeux, un silence même…

“Les gens qui ne pleurent jamais sont pleins de larmes. Mais les gens qui ne rient jamais ne sont pas pleins de rires, ça se saurait !”

mercredi 13 juin 2012

Dans le jardin des mots - Jacqueline de Romilly

Présentation de l'éditeur :


Chaque mois, depuis des années, Jacqueline de Romilly essaie de nous faire partager son amour de la langue française. Ce qu'elle veut avant tout, c'est nous en donner le goût. C'est-à-dire qu'elle insiste plus sur les beautés de cette langue que sur les dangers qui la menacent. A partir d'un mot qu'elle a choisi, elle cherche à en préciser le sens, la valeur correcte, l'étymologie, ainsi que l'évolution qui, en fonction des changements de la société, des découvertes scientifiques, ou des réflexions des écrivains, a chargé ces mots de nuances nouvelles. En somme, elle nous fait vivre le roman des mots. Les langues, en effet, ne cessent de se transformer. S'il existe des inventions inutiles et pédantes, qui ne sont en réalité que des fautes portées par une mode souvent précaire, il existe aussi des changements qui reflètent notre histoire et notre pensée. Il est passionnant d'en suivre le cours. Peu à peu les mots se chargent d'une riche complexité. Réunies ici pour la première fois en un volume, ces promenades dans le jardin des mots nous permettent de contempler, en compagnie du meilleur guide que l'on puisse avoir, l'un des plus beaux paysages du monde, la langue française.

Mon avis :

Ce recueil de chroniques est composé d'articles parus sous la rubrique "Santé de la langue" dans Santé Magazine de 1998 à 2006.
Jacqueline de Romilly décortique mots et expressions  en allant chercher aux origines, en nous en racontant l'histoire et aussi en déplorant certains usages qui appauvrissent la langue.
C'est un livre que l'on peut lire en picorant, chaque chronique est ciselée et j'ai beaucoup appris en le lisant. On a souvent le sentiment de se faire gronder (je me suis parfois reconnu dans les travers qu'elle dénonce), mais cela fait du bien et il n'y a rien de passéiste dans les plaidoiries exigeantes de l'auteur.

Un extrait :
P240 Les lectures, les connaissances pêchées ici ou là, tout contribue à  cet enrichissement des mots. Même nos souvenirs personnels, même ceux de conversations , de mots entendus, de paysages aimés. Il faut d'abord employer les mots correctement, ensuite les reconnaître dans leur histoire même, et enfin, s'entraîner à percevoir, à l'usage, toutes les résonances poétiques que peut leur apporter ce retentissement secret.

La langue maternelle - Vassilis Alexakis

Présentation de l'éditeur :

Pavlos est rentré à Athènes sans raison précise et sans même réserver son billet de retour pour Paris où il vit et travaille depuis plus de vingt ans. Il redécouvre une ville, une culture, ses origines, un pays très jeune et très vieux à la fois et choisit bientôt d'élucider un mystère qui semble contenir toutes ses incertitudes : quel est donc le sens de la fameuse lettre E jadis suspendue à l'entrée du temple d'Apollon à Delphes ? Pavlos ne néglige aucune piste pour essayer de résoudre l'énigme : de Jannina à Delphes, il parcourt tout l'ouest du pays, interroge les archéologues, les chauffeurs de taxi et même son père fabulateur... Pavlos s'interroge enfin sur le silence de sa mère absente. N'est-ce pas le silence que la lettre E évoque pour lui ? Il ne semble pas pressé de trouver la réponse : l'énigme lui tient compagnie. Il se dit que le but de l'écriture n'est peut-être pas d'éclaircir mais de multiplier les mystères. À l'évidence, sa langue maternelle, ta ellènika, commence bien par cette lettre E. Et s'il en était ainsi de tous les mots ?


Mon avis :
  
Pavlos, dessinateur de presse, de retour dans son pays nous offre son regard sur les gens qu'il côtoie, sur les lieux qu'il redécouvre, sur ses souvenirs. Il nous entraîne  dans une  quête  dont le point de départ est la lettre Epsilon  qui était suspendue à l'entrée du temple d'Apollon  à Delphes . Ainsi, d'Athènes à Delphes en passant par Jannina, il part en quête de  ses propres souvenirs qui rebondissent au gré d'une rencontre d'un paysage, d'un mot entendu ou soudainement apparu. Il collectionne peu à peu les mots commençant par cet epsilon source de sa quête. Il retrouve peu à peu sa mère disparue, si silencieuse à coté de ce père diseur d'histoires.

Une écriture "au fil de la pensée", pleine de  retours en arrière, dans une langue poétique qui va jusqu'à la racine des mots. Les premières pages m'ont un peu désorienté mais tout de suite j'ai été pris par cette façon d'écrire. Un effet secondaire plutôt agréable, cette lecture m'a donné envie de retourner en Grèce, avec un regard différent.


Quelques extraits : 

"Ce quartier n'est pas un endroit, ai-je pensé, c'est une époque. je traverse une époque." J'ai ressenti une douleur inexplicable en voyant une collégienne d'une douzaine d'année, avec un tas de livres sous le bras, en train d'ouvrir la porte de sa maison. Je suis passé à coté de mon ancienne école primaire. Le mur qui protège la cour de récréation a été surélevé, il est haut de quatre mètres. J'ai entendu les cris des enfants. Soudain un ballon de basket est passé par dessus le mur et a atterri presque devant moi. Il a rebondi sur le capot d'une voiture puis au milieu de la chaussée et s'est arrêté devant l'entrée d'un immeuble. Il n'y avait personne dans la rue. J'ai ramassé le ballon et d'un coup de pied je l'ai expédié dans la cour. Aux cris des enfants j'ai deviné que le jeu avait repris. "je suis venu pour vous renvoyer le ballon", ai-je pensé.

Je lis deux pages d'un livre, trois d'un autre. Je n'arrive pas à fixer vraiment mon attention. Je me promène sans but à la surface des choses. Mes voisins travaillent sur un mémoire, j'imagine. Je ne sais pas sur quoi je travaille. "j'apprends", pensé-je. Mais voilà que j'écris aussi, sur un sujet que je ne connais pas. Mon audace m'étonne. Je suis probablement influencé par les chauffeurs de taxi athéniens qui parlent de tout avec une grande aisance.

"Est-ce un phénomène important qui mérite réflexion ? " J'ai décidé qu'il n'en valait pas la peine. "Il n'arrive jamais rien, ai-je pensé. Simplement, on entend parfois le bruit infime que produit le temps en moulant du vide."

Je suis assis face à la fenêtre, qui est ouverte, mais je ne vois rien, naturellement. Je quitterai une fois de plus Jannina en n'emportant aucune image de la ville. Je me souviendrai de son brouillard. Jannina a l'élégance de ne pas charger la mémoire de son visiteur d'images superflues, qui seront de toute façon effacées. Elle offre le tableau d'une ville déjà oubliée. Elle dépose dans la mémoire de son visiteur un petit morceau de coton.

Ne vous occupez pas de Plutarque a-t-il dit. Vous avez trouvé un chemin à vous. Il faut le suivre jusqu'au bout, il vous mènera bien quelque part. Je crains seulement que l'epsilon vous manque quand vous aurez rassemblé les quarante mots … Mais peut être n'en aurez vous plus besoin.

lundi 11 juin 2012

Les belles endormies - Yasunari Kawabata

Présentation de l'éditeur :


Dans quel monde entrait le vieil Eguchi lorsqu’il franchit le seuil des Belles Endormies ? Ce roman, publié en 1961, décrit la quête des vieillards en mal de plaisirs. Dans une mystérieuse demeure, ils viennent passer une nuit aux côtés d’adolescentes endormies sous l’effet de puissants narcotiques.
Pour Eguchi, ces nuits passées dans la chambre des voluptés lui permettront de se ressouvenir des femmes de sa jeunesse, et de se plonger dans de longues méditations. Pour atteindre, qui sait ? au seuil de la mort, à la douceur de l’enfance et au pardon de ses fautes.

Mon avis  :

Une bien curieuse histoire dans un très beau roman.
Eguchi, un homme de 67 ans découvre par l'intermédiaire d'un de ses amis une maison dans laquelle des hommes déjà vieux peuvent passer la nuit auprès de jeunes filles plongées dans un profond sommeil. Il reviendra plusieurs fois dans cet établissement où nuit après nuit lui reviendront les souvenirs des femmes qu'il a aimées, sa mère, ses filles, ses maîtresses …
Malgré la situation étrange dans laquelle il plonge ses personnages, Kawabata parvient à  garder une atmosphère poétique,  pleine de pudeur et  de tendresse. Son personnage qui s'interroge sur la vieillesse et sa propre mort sera confronté à ses souvenirs et directement à la mort, celle plus lointaine d'un autre vieillard, mais aussi celle plus troublante d'une des belles endormies.
On retrouve les thèmes favoris de l'auteur traités avec toute la délicatesse dont il est capable.


Quelques extraits :

Cependant sa fille s'était comme épanouie en jeune épouse, et elle avait embelli. A supposer même que ce ne fut qu'une transformation physiologique marquant le passage de la jeune fille à la jeune femme, elle n'aurait sans doute pu avoir cet éclat de fleur s'il y avait eu la moindre ombre sur le plan psychologique. Après la naissance de son enfant, son teint était devenu lumineux comme si elle avait été lavée jusque dans l'intérieur de son corps, et elle avait acquis une sorte de sérénité.

La pensée qu'il se pouvait qu'elle fut pour lui sa dernière femme jeune la lui avait rendue inoubliable, mais peut être elle non plus n'avait elle oublié le vieil Eguchi. Sans qu'ils en eussent été profondément blessés ni l'un ni l'autre, et dussent ils en garder le secret toute leur vie, ni l'un ni l'autre sans doute n'oublieraient jamais.

jeudi 7 juin 2012

Ray Bradbury et l'amour des livres.

Ray Bradbury nous a quitté hier, mercredi 6 juin 2012.
J'avais découvert ses romans pendant mon adolescence et j'avais en projet de les relire. Du coup, ils sont passés sur le dessus de la pile.

Je lis régulièrement les articles d'un site qui publie des lettres de personnalités, (Letters of Note)  et il y a été publié hier une lettre de Ray Bradbury dont je me propose de vous donner une traduction.

Tous mes amis étaient sur les étagères au dessus.

Ray Bradbury fut un fervent supporter des bibliothèques tout au long de sa carrière et la lettre qui suit, adressée au directeur adjoint de la bibliothèque de Fayetteville - dans laquelle il explique quelle course ce fut pour écrire la nouvelle sur laquelle Fahrenheit 451 s'est basée - illustre parfaitement pourquoi.


(Source: Fayetteville Public Library; Image: Ray Bradbury, via Random House.)

 15 septembre 2006

Cher Shawna Thorupt

Je suis heureux d'apprendre que vous, braves gens, allez rendre hommage à mon livre, "Fahrenheit 451". Je pense que vous aimeriez apprendre comment la toute première version, de 25 000 mots, qui est parue dans un magazine, a été créée.

J'avais besoin d'un bureau et n'avais pas d'argent. Aussi un jour je me promenais sur le campus de l'U.C.L.A. (université de Californie) quand j'entendis un bruit de machine à écrire provenant des sous-sols de la bibliothèque. Je découvris qu'il y avait une salle où l'on pouvait louer une machine à écrire pour 10 cents la demi-heure. Je suis alors entré dans la salle avec un groupe d'étudiants et mon sac de pièces de dix cents, cela faisait un total de 9,80 $ que j'ai dépensé pour créer la version de 25 000 mots de "the fireman" en neuf jours.
Comment ai-je pu écrire autant de mots aussi rapidement ? C'est grâce à la bibliothèque. Tous mes amis, tous mes favoris, étaient sur les étagères au dessus et me disaient, me criaient, me hurlaient d'être créatif. Aussi, je courais de haut en bas des rayonnages pour chercher des livres et trouver des citations à mettre dans ma nouvelle "the fireman". Vous pouvez imaginer combien il était excitant de faire un livre sur des livres qui brulent en présence de ces centaines de mes  favoris sur les rayonnages. C'était la meilleure solution pour être créatif ; voilà ce qu'a permis cette bibliothèque.

J'espère que vous apprécierez la lecture de cette histoire de passion, qui a grandi quelques années plus tard et est devenue populaire, merci mon Dieu, pour un grand nombre de personnes.

Je vous envoie mes bons voeux. 

Signé.

mercredi 6 juin 2012

L'imprévisible - Metin Arditi


Présentation de l'éditeur :
Anne-Catherine appartient à la haute société genevoise.
Elle vient de se séparer de son mari et demande à Guido Gianotti, professeur d'histoire de l'art à la retraite, une estimation pour un tableau dont elle veut se débarrasser. Tout oppose Anne-Catherine et Guido : elle a grandi dans les salons, il est fils d'un immigré italien chauffeur de maître ; elle est encore jeune alors que lui subit l'humiliation d'une virilité déclinante... Pourtant, au contact l'un de l'autre, ces deux êtres blessés par la vie et par leur milieu vont retrouver une dignité.
A travers les rebondissements d'une enquête qui entraîne le lecteur dans l'univers des grands peintres de la Renaissance florentine, surgit le récit d'un violent amour crépusculaire.

Mon avis :
Ce roman est en quelque sorte la suite de Victoria-Hall, comme souvent dans ses romans, Metin Arditi fait réapparaître des personnages ou des événements secondaires qui cette fois prennent la vedette. Ainsi dans l’imprévisible, on retrouve Anne Catherine, séparée de son mari et qui veut se débarrasser d'un tableau. Elle demande à Guido de s'en occuper.
L'intrigue va nous mener de l'histoire sentimentale entre Anne-Catherine et Guido  que tout pourrait séparer à une enquête dans laquelle  de grand peintres de la renaissance apparaissent.
Les problématiques liées aux passés de Guido  et d'Anne Catherine jouent un grand rôle, c'est  en quelque sorte la marque de l'auteur et une des originalités de son écriture.
Un excellent roman que j'ai lu d'une traite.

Le grondement de la montagne - Yasunari Kawabata

Description de l'éditeur :

Dans l'air inerte d'une nuit d'été, un vieil homme entend - ou croit entendre - le grondement de la montagne.
Ce rugissement venu du coeur de la terre, lui seul semble le percevoir comme la révélation de sa mort prochaine. Notable, en apparence calme et rangé, le vieil homme cache une personnalité hypersensible, inquiète, troublée par une vie intérieure agitée. Songes, réminiscences, prémonitions l'absorbent plus que le monde qui l'entoure et dont il se détache progressivement. Seules les splendeurs fugitives de la nature, les Arabesques émouvantes des oiseaux et la silhouette blanche et délicate de sa jeune belle-fille parviennent à le distraire de son obsession de la mort.
Le style de Kawabata s'apparente aux peintures d'Extrême-Orient où la trajectoire d'une ligne courbe arrive à recréer la profondeur d'un paysage. Avec le Grondement de la montagne, l'auteur confronte son personnage hanté par la vieillesse, la mort, le rêve impossible d'un érotisme lumineux, aux grands moments de sa vie, à ses déceptions, ses échecs, l'écoulement des saisons ou la beauté éphémère d'un cerisier en fleur par un matin d'hiver.

Mon avis :
 Shengo, un homme de 62 ans conscient de son vieillissement observe les siens, ses enfants dont la vie conjugale est compliquée, tout dans la nature qui l'entoure, dans les événements qu'il côtoie le mène à  la réflexion.
Est-il un bon père ? Ne défavorise-t-il pas sa fille ? Pourquoi est-il attiré par sa belle fille  ? Est-ce la guerre qui a provoqué tout ces dérèglements ?
Toutes les questions que se pose Shengo sur l'existence humaine sont sans doute celles que se posait Kawabata dans sa maison de Kamakura où se déroule "le grondement de la montagne".
Malgré des événements difficiles pour les personnages, le ton du roman reste léger et poétique. La présence permanente de la mort est allégée par les beautés de la nature.
Un très beau roman plein de poésie et de sensibilité.

Kawabata dans son discours de réception du prix Nobel : "La neige, la lune, les cerisiers en fleur, mots qui expriment la beauté des saisons se transformant l'une en l'autre, englobent toute la tradition japonaise de la beauté des montagnes, des rivières, des plantes et des arbres, les milliers de manifestations ou se révèle la nature, aussi bien que les innombrables sentiments humains."

 Quelques extraits :

Les confessions n'apportent aucun réconfort à personne. On ne souhaite d'ailleurs pas se charger des soucis des autres ; on parle, on parle jusqu'à la station de tramway, puis on se quitte. Mais c'était justement ce qu'aurait souhaité Shingo ...
- Si les ménages de leurs fils et de leurs filles marchent bien, ce serait un succès à mettre à l'actif de ces époux.
- Dans le monde où nous vivons, dans quelle mesure les parents peuvent ils être tenus responsables de la vie conjugale de leurs enfants.
C'est ainsi qu'il aurait voulu se confier à ses anciens amis, et l'écho murmuré de ces propos imaginaires résonnait inopinément en lui.

 "Si mon père faisait bouillir ses épinards à la source radioactive en mesurant la température et le temps, je pense qu'il deviendrait aussi vigoureux que Popeye, même en l'absence de Kikuko, dit Fusako sans rire. Pour moi, je n'en peux plus, c'est trop triste."

Dans un lieu dont au réveil il avait oublié le nom - mais peu importait - un homme réunissait sur son menton toutes les particularités de tous les États. En outre, cet ensemble pileux loin d'offrir un pêle-mêle racial se divisait en plusieurs secteurs, le secteur français, l'indien, etc., où des touffes de chaque type se côtoyaient. Le gouvernement des États-Unis  classa cette barbe Trésor national, si bien que le pauvre homme ne pouvait plus se tailler ni se nettoyer la barbe à son gré.
Ce fut tout. Le vieillard avait vu la barbe panachée, l'avait même ressentie comme sienne. Il avait participé dans une certaine mesure, à la fierté, à la perplexité  de cet individu.

Il existe de par le monde quelques personnes qui se ressemblent tellement qu'on ne peut les prendre que pour parents et enfants ; il ne doit pas pourtant y en avoir beaucoup ; dans le monde entier, il ne doit se trouver qu'un homme que l'on puisse assortir à cette fille, qu'une fille que l'on puisse assortir à cet homme. Un seul pour chacun d'eux. Dans le monde entier, peut être n'existe-t-il qu'une paire de ce genre. Ils vivaient en étrangers, sans que rien n'indiquât le moindre lien entre eux. Peut-être chacun ignorait-il l'existence de l'autre ?
… Ils s'étaient séparés, après avoir été les participants d'un miracle dont ils restaient inconscients.
Le seul que l'étrangeté de la coïncidence eût frappé n'était qu'un étranger.

mardi 5 juin 2012

Eteins ton livre, il est tard

Un article très intéressant de Pierre Louis Rozinès sur lenouveleconomiste.fr, il part de deux questions :  le livre va-t-il mourir ? Les librairies vont elles disparaître ? puis, analyse quelques opinions courantes comme :
  • Les gros lecteurs se réfugient dans les livres en papier.
  • Les vieux boudent les livres électroniques.
  • On lit moins qu'avant.
  • Le livre en papier va disparaître
  • ...
Et démonte, avec beaucoup de bon sens vérités et contre-vérités que l'on entend souvent à tort ou à raison.
Un article à lire pour tous ceux que les problématiques liées à la lecture intéressent.

Lien direct vers l'article.
Merci à Enge qui a signalé cet article sur son blog